BRUXELLES CULTURE 05 juillet 2020
RENCONTRE : MYRIAM BUSCEMA
D’origine italienne, Myriam Buscema, née à Nimy (Belgique), vit dans un petit village blotti au creux de la campagne hesbignonne.
Entre l’amour de la vie, la nature, les livres et la bellezza de la Toscane, son coeur balance. Elle est passionnée par la rencontre d’artistes et d’acteurs du monde culturel et met depuis trente ans son art de l’organisation au service du théâtre. Elle puise dans ses expériences de vie l’inspiration et la matière de ses écrits, espérant que ce partage bénéficie à tout un chacun. «Les fruits de la solitude» est son cinquième livre. A l’occasion de la sortie de celui-ci, nous
l’avons interviewée. Rencontre.
Quelle est votre formation ?
J’ai commencé des études secondaires en arts décoratifs, parce que ma mère me trouvait créative. Après deux ans, je n’y voyais pas ma voie et j’ai bifurqué dans la même école vers des études commerciales. Comme je n’avais pas fait de latin, je ne pouvais pas poursuivre au lycée. Restant sur cette trajectoire que je n’avais pas vraiment choisie, mais comme ça se passait bien, j’ai décroché un graduat en secrétariat de direction à Lucien Cooremans à Bruxelles.
A quel moment avez-vous ressenti l’envie de devenir écrivain ?
Au cours desdites études secondaires, j’ai eu la chance de croiser celle qui allait faire germer la petite graine… un merveilleux professeur de français. De cette rencontre et de cette profonde amitié, qui durent depuis un demi-siècle, sont nés l’amour de la littérature et celui des mots. L’écriture est devenue pour moi un mode d’expression. Depuis, je n’ai jamais cessé de remplir carnets de notes, de pensées, de récits que j’ai conservés dans une malle au grenier et qui sont devenus ma matière, ma pâte.
Comment est né votre premier livre et de quoi traite-t-il ?
Je répétais souvent que j’allais écrire et, à un moment, je me suis dit : il faut cesser de le dire, il faut le faire ! Pour commencer, j’ai choisi ce qui me semblait le plus simple : parler de mes compagnons de prédilection, les chats, ces princes du bien-vivre, ces êtres de grâce et de sagesse. J’ai raconté, en les inscrivant dans le contexte de ma vie, les histoires, belles, surprenantes et finalement d’amour, que je vivais avec ces petits êtres d’exception, mes bonheurs félins. Le résultat a été « Des chats, une femme ».
Vous souvenez-vous des réactions des lecteurs ?
J’ai consigné tous ces commentaires dans un carnet à la couverture veloutée… « Outre l’histoire des chats, en filigrane se déroule ta vie. Ton écriture est féline. Elle ondule, sa lecture est presque une caresse. » « Ô Myriam ton livre est émouvant et tendre, de toute beauté, merci. Tu es la tendresse même, l’avais-tu déjà avant de connaître les chats ? »… Et je ne peux passer sous silence le mot de mon professeur d’anglais de l’époque : « I started reading your book and once I started I could not leave it. The way you tell stories is really fascinating. It is not a book about cats. It is not a collection of stories about cats. It is a book of love. Even more : it is simply love. »
Avez-vous besoin d’un rituel pour rédiger ou êtes-vous capable de mettre par écrit vos émotions n’importe où et à n’importe quel moment ?
J’écris en effet avec mes émotions. Quand j’entre en écriture, j’ai besoin d’une totale disponibilité et j’y consacre une grande partie de mes congés. J’écris chez moi. Je m’installe devant la porte-fenêtre qui regarde le jardin, avec mon papier, mon stylo et mes dictionnaires. Dans un premier temps, j’écris tout à la main. J’aime l’acte d’écrire. Mais les mots me suivent, car j’ai des carnets et des crayons partout pour noter ce qui peut surgir. Comme je photographie chaque page de mon manuscrit, quand un mot me vient, n’importe où et à n’importe quel moment, je peux tout de suite repérer l’endroit où j’ai envie de le placer ou de remplacer celui du premier jet.
Existe-t-il des thèmes récurrents dans vos oeuvres ?
Oui, sûrement ! Dans tous mes livres, on retrouve l’amour, des gens, des animaux, de la campagne où j’ai mon havre de paix depuis de longues années et celui de mon métier que j’ai la chance d’exercer dans le milieu artistique. Bien sûr, aussi, l’amour de la vie. Je suis une grande amoureuse ! Il y a, toujours, l’exploration de l’âme humaine dans ses préoccupations tant existentielles que quotidiennes, qui me tient fort à cœur. Et l’empreinte de l’enfance qui détermine tant de choses dans notre vie.
Vous êtes également fort présente dans le domaine du théâtre. En quoi consiste cette seconde facette de votre personnalité ?
Mes études supérieures m’ont menée en première partie de carrière à occuper des fonctions d’Office manager dans plusieurs cabinets d’avocats de la capitale, puis en tant qu’assistante de direction dans une maison réputée. Mais il manquait à mon parcours professionnel une dimension humaine et artistique. Une bonne étoile m’a permis de rediriger ma carrière en mettant mon sens de l’organisation au service du théâtre, où j’ai vécu des expériences professionnelles palpitantes. Je suis passionnée par la rencontre des artistes et acteurs du monde culturel et cette belle aventure dure depuis plus de trente ans.
Y a-t-il un rêve que vous souhaiteriez concrétiser ?
Oui, vraiment ! Avoir une petite maison en Toscane, pour y ancrer mes attaches méditerranéennes. L’Italie m’émeut comme aucun autre pays. Par mon père, c’est le sang qui coule dans mes veines. Ce sont mes vraies racines. Je suis née en Belgique mais, lorsque j’arrive là-bas, je me sens chez moi. Pour moi, ce qui s’est passé en Italie avec le Covid19 m’a énormément affectée, « j’ai eu mal à mon Italie », c’est ma patrie de cœur et j’ai ressenti une tristesse immense pour les Italiens qui ont été touchés de plein fouet par cette affreuse crise.
Entretenez-vous des contacts avec d’autres auteurs ? Si oui, de quelle manière et dans quel but ?
J’entretiens de riches relations, qui se sont créées avec le temps et ma participation à de nombreux événements littéraires. Nous échangeons nos projets et nos expériences. Je fais relire mes manuscrits à certains ou j’effectue des relectures pour d’autres. On vient vers moi
pour cet échange et j’apprécie cette confiance que l’on me fait. On se croise dans les foires du livre, comme par exemple au merveilleux Salon des auteurs du Brabant de Wallon, initié par la Province depuis sept ans. C’est un plaisir de voir et savoir comment chacun évolue dans son activité littéraire.
Quel regard posez-vous sur le monde de l’édition en Belgique ?
Il me semble qu’il n’y a pas ou plus de grandes maisons d’éditions belges. Et si certains éditeurs belges sont très difficiles quant à l’observance de leur ligne éditoriale, dans laquelle ils estiment qu’on entre ou pas, d’autres ne me semblent pas assez sévères quant à la forme. J’ai parfois entre les mains des livres que je trouve mal écrits. Trop sélectifs ou pas assez ? Comment les lecteurs s’y retrouvent-ils ? Et y at-il des éditeurs belges qui défendent vraiment leurs auteurs, qui se mouillent pour eux quand ils ne sont pas connus ? Je m’interroge.
Même si les étiquettes sont réductrices, dans quelle catégorie rangeriez-vous vos ouvrages ?
J’écris des récits de vie. Des récits de ma vie de femme. J’ai rencontré un jour un lecteur du sexe masculin, devenu depuis lors un ami, qui avait lu « Je n’ai pas donné la vie » et qui l’avait
particulièrement apprécié. Non, l’étiquette n’est pas réductrice ! J’ai constaté aussi que de nombreux messieurs sont en fait de grands amoureux des chats, mais je suis bien consciente que j’ai davantage un lectorat féminin par le genre d’ouvrages que je publie. Les femmes s’y reconnaissent et sont extrêmement touchées par les sujets intimes que j’aborde. Ce qui ne sera pas le cas de mon dernier opus, qui s’adresse tant aux femmes qu’aux hommes.
Vous arrive-t-il d’être découragée et d’avoir envie de tout réécrire ou de tout envoyer à la
corbeille ?
Non, jamais ! Je ne suis pas quelqu’un qui se décourage. Mais je retravaille beaucoup ce que j’ai écrit dans un premier temps. Je soumets chacun de mes manuscrits à un comité de lecture, composé à parts égales de trois hommes et de trois femmes, dont mon indéfectible professeur de français d’une sévérité inouïe mais précieuse comme l’or. C’est une somme de travail considérable. L’énergie pour sortir un livre, pour l’écrire mais aussi pour tout ce qui suit au niveau de sa promotion et de sa diffusion me fait dire presque chaque fois que je n’écrirai plus…. Mais ça ne dure pas : les mots, c’est ma vie !
A quelles difficultés sont confrontés la plupart des auteurs belges ?
Vaste question ! Le domaine de l’édition est un monde assez fermé et il n’est pas simple d’y entrer, si on n’a pas un sauf-conduit. Le premier contrat qu’on vous propose est souvent minimaliste au niveau des conditions, qu’on accepte bien souvent telles quelles, trop heureux d’être publié. Et il faut énormément d’énergie et de ténacité pour participer à toute la partie diffusion, promotion, presse même, si vous voulez que votre ouvrage sorte un peu du lot. Toutefois, il faut d’abord avoir la chance de tomber sur la personne qui va être séduite d’emblée par ce que vous avez écrit, il faut un coup de cœur. C’est presque une question de chance. J’ajouterai que je ne suis pas favorable à l’autoédition, il faut un ou des regards extérieurs pour juger de la qualité de ce qui est publié, sinon comment le public peut-il s’y retrouver ?
Votre dernier titre paru chez Marcel Dricot s’intitule « Les fruits de la solitude ». De quoi traite-t-il ?
Je m’y livre à une exploration de la solitude d’un point de vue humain et personnel. Je questionne l’empreinte de l’enfance, prégnante, dont les traumatismes laissent leur empreinte jusque dans nos cellules, et son contrepoids, la résilience qui consiste à se relever du pire et à
rebondir; le rapport au couple : qu’est-ce qu’un couple, qu’attend-on d’une relation, quelle part y détient la solitude ; et le rapport à soi, à l’autre. Je crois très utile de démanteler le côté sombre de la solitude, qui l’apparie à l’abandon, au manque, à l’isolement, pour libérer l’incontestable potentiel d’une solitude vivifiante et jouissive, enrichissante, qu’on soit seul ou pas. Au départ des événements de ma vie, j’élargis mon propos à une réflexion plus universelle sur ce thème
tellement sensible, tellement intéressant quand on creuse.
Quelle différence y a-t-il entre solitude et isolement ?
On confond souvent la solitude avec l’isolement, le manque. On souffre d’isolement lorsqu’il est subi et non choisi. Souffrir d’esseulement nuance de se sentir seul sans être isolé. On est malheureux d’être seul parce qu’on ne se sent pas compris, reconnu précisément dans sa singularité, si précieuse, peu ou mal aimé, non parce qu’on est seul. J’évoque aussi moult circonstances qui relèvent davantage de facteurs situationnels, économiques ou environnementaux, sociaux ou physiques : les handicapés, les prisonniers, fauteurs de délits ou militants pour la paix dans le monde, les personnes âgées, les réfugiés, les séparés, les divorcés, et tant de jeunes à notre époque ultra-connectée mais qui, en réalité, sont
tellement seuls. Ces situations de vie confinent davantage à de l’isolement, mais il s’agit néanmoins de formes de solitude qui enferment, qui esseulent.
Au fil des pages, vous révélez beaucoup d’événements intimes de votre vie. Etait-ce un choix nécessaire ?
Ma source d’inspiration, ma matière, c’est ce que je vis. Si je veux que ce que j’écris touche, je dois écrire avec mes émotions et mes sentiments. Je dois me raconter. Quel meilleur moyen que d’évoquer de l’intérieur ce qui est compliqué, ce qui est difficile, comment l’appréhender, comment le résoudre ? Ma pâte, c’est l’humain, dans ce qu’il a de plus intime, dans ce qui le fait souffrir ou vibrer, et quand on sait qu’on n’est pas seul à ressentir ce que l’on vit, là dans ses entrailles, cela apporte déjà une réponse, une piste. Comme je l’ai écrit dans « Je n’ai pas donné la vie » : « C’est le partage d’une expérience de vie, pour susciter la rencontre de soi avec soi-même, mettre à profit l’immense potentiel d’espace à soi dont on peut faire ce que l’on veut, du plomb ou de l’or ».
En quoi, selon votre expérience, la solitude est-elle bénéfique à chacun ?
« Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre » a dit Blaise Pascal. Vivre une solitude féconde permet, si l’on est vigilant, de percevoir les signes que nous envoie la vie. Plus on est centré sur soi, plus on creuse en soi – ce que permet et offre la solitude –, plus on s’ouvre à ses ressources secrètes : on dispose d’une vastitude intérieure, d’un espace non limité, propice à l’imagination, à l’inspiration, à la création. Cet accès à tous les possibles de soi nous préserve d’attendre des autres qu’ils nous rendent heureux, ou de convoiter ce que les autres vivent… Nous sommes seuls à pouvoir agir pour nous. Toute notre vie, nous la passerons avec nous-même. Et si nous faisions de nous notre meilleur ami ?
Toujours de votre point de vue, quels sont les clichés à combattre concernant la susdite solitude ?
La solitude est essentielle à notre équilibre. On ne peut niveler cet état d’être et on n’a pas à en guérir.
La solitude n’est pas un mal à contrer, une pathologie à enrayer, même si elle touche une multitude de gens. Souvent la fait-on passer pour une malédiction, alors qu’elle est notre condition. Qu’on l’accepte ou non, elle est notre lot, notre destin, et ce n’est pas triste. Je constate combien son évocation est généralement associée à une perception négative. Tant de clichés négatifs s’attachent à l’évocation de la solitude, qu’il convient de souligner qu’en l’appréciant, on n’est pas pour autant un être incomplet, peu chaleureux ou dépourvu de tendresse. Il est question de se suffire à soi-même, il n’est pas question de vivre en reclus ou recluse. La solitude n’est ni une fatalité ni une indigence, mais un état d’esprit qui ouvre au questionnement intérieur, un état de maturité.
Pourquoi avoir rédigé cet ouvrage ?
Ce voyage au cœur de la solitude est destiné à mettre en lumière sa nécessité, sa résilience et sa beauté. Puissé-je ainsi offrir des pistes à tout un chacun. Je me réjouis de voir mes semblables avancer vers eux-mêmes.
Propos recueillis par Daniel Bastié
____________________________________________________________________________
Lors de la sortie de mon précédent livre « AU FIL DE SOI, L’illusion d’une passion », j’ai eu le plaisir d’être invitée à participer à l’émission « De vous à moi » sur la radio AraBel et d’être interviewée – à l’occasion de la Foire du Livre de Bruxelles – par la charmante journaliste Françoise Royer. Pour écouter cette émission : https://soundcloud.com/arabelfm/myriam-buscema
ou via la page Facebook de l’émission : https://www.facebook.com/emission2vousamoi